CETA: les aventures d’un citoyen au Parlement de Wallonie

Michel Brouyaux a de la suite dans les idées.

En 2013, à la lecture d’un article de Raoul Jennar dans le Monde Diplomatique, il réalise qu’un accord de libre échange pour le moins mystérieux est en train de se préparer entre les Etats-Unis et l’Europe. Intéressé, il se met en recherche d’informations et se rend aux séances du Parlement wallon où le sujet est à l’ordre du jour. Il comprend que le CETA est le petit frère du TTIP, tous deux bien inquiétants. L’homme de gauche qu’il est doit réagir… et il découvre un travail parlementaire bien intéressant!

Vous avez suivi une série de séances du Parlement de Wallonie. Par simple curiosité?
Je voulais écouter les arguments des uns et des autres et observer les rapports de force. Voir comment nos représentants allaient défendre les intérêts de la majorité de la population par rapport à ce qu’annonçaient le TTIP et le CETA. En réalité, quel que soit le domaine discuté, il y a conflit frontal entre les intérêts des multinationales et ceux de la population.

La mobilisation de la société civile a commencé il y a un an avec le TTIP? On se rappelle du livre de Raoul Marc Jennar, paru en juin 2013, où il présentait le TTIP comme la pire menace pour l’Europe?
Assez vite, nous nous sommes aperçus que le CETA, cet accord entre le Canada et l’Europe, a des similitudes avec le TTIP, lequel est toujours en négociation. Mais l’urgence aujourd’hui, c’est le CETA! Le 26 septembre 2014, le gouvernement canadien et le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy accompagné de José Manuel Barroso président de la Commission européenne, ont officiellement dévoilé le contenu de l’accord CETA marquant la conclusion des négociations. L’Europe de son côté est encore au stade de la ratification par le(s) parlement(s) de chaque Etat membre. La dernière étape est le niveau exécutif, avec la signature de Didier Reynders qui représente la Belgique à la réunion des ministres européens.

Vous étiez présent en janvier 2016 quand la commissaire européenne en charge du TTIP, Cecilia Malmström, est venue défendre les traités au Parlement wallon?
La commissaire a défendu bec et ongles la nouvelle mouture de l’ISDS devenu l’ICS dans le CETA. Elle parle un français impeccable et l’échange a été nourri et courtois. Mais elle n’a convaincu que ceux qui étaient convaincus au départ. Elle donne des réponses rassurantes auxquelles personne ne croit.

La séance suivante a eu lieu le 13 avril, ce devait être la dernière sur le CETA?
Seule y participait la Commission parlementaire restreinte pour faire le dernier point. Il était prévu qu’à la fin de la journée, cette Commission adopterait une résolution. Mais ce ne fut pas possible à cause d’un récalcitrant, Georges-Louis Bouchez, du Mouvement réformateur, qui a fait de l’obstruction et monopolisé le micro durant toute la session. Il a fallu reporter la prise de position au lundi 25. A cette date, il y a encore eu un échange d’arguments, plus court heureusement car Monsieur Bouchez n’était plus là! En fin de journée, la résolution 212/4 a été prise par huit voix contre quatre. La particularité remarquable de cette résolution est qu’elle a été adoptée par le cdH, le PS et Ecolo. Donc, trois partis à la fois!

Enfin arrive la séance plénière. Beaucoup de stress?
Bien sûr, après la mise en commun des différentes commissions de travail est enfin venu le tour de la Commission en charge du TTIP-CETA. Des arguments pour et contre ont été encore échangés et répétés. Parmi les intervenants, Paul Magnette qui a précisé sa position et déclaré que la Wallonie joue le rôle de lanceur d’alerte de l’Europe.

Le vote pour la résolution par 44 voix contre 22 a été un succès. Le Parlement s’est clairement positionné pour le blocage du CETA tant qu’on n’a pas de réponse à toutes les objections qui sont reprises dans les attendus de la résolution.

Quelques députées ont paraît-il argumenté avec force leur opposition au CETA!
Oui, j’épinglerai Olga Zrihen du PS qui a d’abord fait remarquer, en réponse au MR, que la commission avait énormément auditionné les gens. Elle a ensuite mis l’accent sur la différence entre les deux rives de l’Atlantique. L’Europe privilégie la protection des citoyens alors qu’aux USA ce sont les investisseurs qui sont consultés. Chez nous, on estime qu’on ne peut vouloir à la fois une plus grande proximité entre les Européens et ne pas tenir compte de leurs demandes. La députée est revenue sur «la liste négative» hors de laquelle tout ce qui ne s’y trouve pas serait automatiquement intégré dans le traité alors que plein de produits et services, dont on n’a pas la moindre idée aujourd’hui, seraient abusivement repris dans cet accord. Pour exemple, le numérique n’existait pas il y a vingt ans!

Et dans les autres partis?
Le cdH, avec la voix de Marie-Dominique Simonet, ne veut pas dissocier CETA et TTIP. C’est un traité du siècle dernier, «qui fait plus de ce que nous savons qui ne va pas! Panama Papers, Brexit, Cop21: il faut y mettre les éléments permettant d’atteindre les objectifs auxquels nous nous sommes engagés, or on ne les y retrouve pas», a-t-elle argumenté. Le fait que Cécilia Malmström a modifié l’ISDS devenu l’ICS, prouve qu’elle reconnaît un problème, mais elle ne le fait pas suffisamment. Et de rappeler que le Parlement européen a voté des balises par rapport au TTIP le 10 juillet 2015. Elles doivent être donc appliquées au CETA.

Quant à Hélène Ryckmans, Ecolo, elle fait remarquer que ces traités atlantiques de libre-échange ont fait l’objet de beaucoup d’études et il s’avère qu’ils ne sont pas nécessaires pour continuer à approfondir le commerce avec le Canada. Il faut savoir aussi que les appellations d’origine contrôlée belges sont toutes refusées par le Canada. Aucun label belge n’est donc épargné! Quand le MR regrette le manque d’ambition en refusant ces accords, c’est plutôt en matière de protection des travailleurs et des citoyens qu’il faudrait être ambitieux! On ne peut mettre en avant les seuls côtés positifs en refusant les côtés négatifs notamment la concurrence!

Quelles sont vos impressions aujourd’hui par rapport à tous ces événements?
D’abord, le vote m’a rempli de satisfaction. A la rédaction de POUR.press, on a bu le champagne! J’ai été impressionné par l’énorme travail parlementaire fourni. Le monde politique est très critiqué, mais là, les mandataires ont bossé de huit heures du matin à huit heures du soir. Ils ont démontré leur souci de s’informer et d’embrasser une multitude de problèmes dans tous les domaines où ils ont plongé en abordant les aspects sociaux, juridiques, économiques, sanitaires et environnementaux. Ce travail approfondi, voire exhaustif, est prouvé par la lecture des attendus de la résolution que tout citoyen devrait lire.

Et enfin les rivalités et la concurrence politicienne ont été mises entre parenthèses. Encore quinze jours auparavant, il y avait trois motions, mais ils sont arrivés à s’entendre sur une seule. Chapeau aux écolos d’avoir renoncé à la leur.

C’est un vote historique par le caractère unitaire de la résolution et la profondeur du travail réalisé. Les parlementaires ont bien mesuré l’enjeu. J’espère que ce vote sera suivi par d’autres parlements en Europe. Qu’il va servir de lanceur d’alerte.