DIEM25, un allié pour une grande offensive européenne?

Dans une perspective d’écologie politique, l’initiative DiEM25 doit retenir notre attention. Les Verts ont toujours défendu que l’Europe constitue l’espace politique adéquat pour répondre aux nombreux défis à affronter et qu’elle a besoin d’un renouveau démocratique. DiEM25 accomplit un pas en avant, bien que timide, vers une Europe verte et une prospérité verte et partagée qui respecte la planète. Si des gens en Europe utilisent notre langage, nous devons engager la conversation en dépit de nos différences.

«L’Union européenne va se démocratiser. Ou elle va se désintégrer.» Ainsi s’énonce le manifeste fondateur de DiEM25, le mouvement pour la Démocratie européenne lancé par Yanis Varoufakis, ancien Ministre grec de l’Economie, présenté le 9 février à Berlin (1). La proposition est claire et directe: contre l’autoritarisme, l’austérité et la récession imposés par les élites dirigeantes, un renouveau démocratique s’impose en Europe. Ce besoin et cette exigence sont très familiers aux Verts dans toute l’Europe, et sachant combien il est difficile de mobiliser les gens sur le long terme, ils observent cela avec curiosité, mais aussi avec une forme de scepticisme. Cependant, il faut admettre que ces propositions apportent un courant d’air frais et que les Verts, comme d’autres groupes progressistes qui défendent ces valeurs, ne devraient pas les ignorer. En considérant leur propre histoire et mémoire, ils devraient les accueillir favorablement, en dépit des différences qui peuvent exister.

AU-DELA DES DIVISIONS

Le fait que les organisateurs de DiEM25 soient conscients de ces différences est un bon signe, au moins au niveau théorique. L’initiative, qui vise à atteindre son but en 2025, espère le réaliser par le biais d’une large coalition européenne de Démocrates, qu’ils soient radicaux de gauche, sociaux-démocrates, Verts ou Libéraux. Simultanément, DiEM25 entend, comme condition d’assurer la souveraineté locale et nationale, atteindre une complète souveraineté européenne. En fait, le mouvement a un vrai style fédéraliste qui ravive le rêve d’un demos européen (compatible et complémentaire aux demos et identités nationales).

Les prochaines actions à entreprendre requerront la collaboration et une base commune, non les divisions dans la sphère renationalisée de la politique européenne. Le caractère transnational de ce besoin de démocratisation est donc aussi important, parce qu’il attaque frontalement et transcende les divisions qui se sont accrues dans toute l’Europe suite aux politiques de peur et au manque de confiance impulsés par les crises économique et de la migration.

Dès lors, en rendant la souveraineté européenne nécessaire et désirable au cœur du débat, DiEM25 fouille dans la restructuration des forces de changement en général et, en particulier, au sein de la gauche aux niveaux local et européen. Il n’est pas étonnant que Mélenchon, leader du Parti de Gauche français, en retraite complète sur la souveraineté nationale, et que Lafontaine, de Die Linke, défenseur du retour au système monétaire pré-Euro, furent tous deux absents à Berlin. DiEM25 parie aussi sur la possibilité de réformer l’Union européenne et l’Euro et ne se focalise pas sur l’axe gauche contre droite. Il fixe le modèle démocratique comme le défi politique majeur pour les prochaines années en Europe.

POUVOIR CONSTITUANT

De plus, même si la rhétorique du manifeste tend parfois à simplifier les problèmes de l’UE (visant, par exemple, avec une brosse large et quelques allusions, la «bureaucratie européenne»), son engagement envers une Europe plus unie et intégrée est clair. Cet engagement prend la forme d’un appel sans ambiguïté pour une Assemblée constituante européenne, qui à son tour donnerait naissance à une véritable Constitution européenne. Varoufakis n’hésite pas à parler d’un «Etat fédéral européen»; un réel saut qualitatif en ce temps de crise de confiance dans les institutions de l’UE et cette atmosphère de confrontation et d’exacerbation du national contre l’Européen. Et c’est d’autant plus pertinent de la part d’un homme qui, après une violente confrontation avec la Troïka, reconnaît que la solution pour la Grèce (ou d’autres cas similaires) ne repose pas sur des états-nation plus forts, mais sur une plus forte Europe.

Ces mise en mouvement et déclaration, même si leur sincérité doit être testée, ne peuvent être ignorées aujourd’hui. Pour l’Europe, ce serait un luxe inapproprié d’en détourner le regard. Evidemment le mouvement lui-même a besoin de monde qui s’y engage pour se développer, mais le signal donné à Berlin et dans d’autres villes, par Yanis Varoufakis, Srećko Horvat et d’autres amis, est très clair. La phase initiale de ce mouvement, cependant, manque un peu de la structure et d’une stratégie qui seront développées dans les prochains mois. Au moment du lancement, une certaine ambigüité quant à l’ambition peut faire partie du charme initial, mais bien qu’innovatrice et différente, la nature de l’action politique elle-même demandera une définition plus claire quant à l’organisation future et son rapport à l’égard de positions idéologiques diverses. L’Europe a toujours été fière du pluralisme qu’elle a développé dans le spectre politique; cependant les pressions auxquelles elle est exposée suggèrent que le pluralisme devrait être plus collaboratif à l’avenir. Et la voix de DiEM25 à cet égard est peut-être trop faible, mais l’imaginaire par lequel il invite à l’action politique offre une chance d’être transportés dans une action offensive, collaborative et décisive à travers l’Europe. De nouveau, même si l’on n’en approuve pas chaque détail, cette nouvelle énergie sociale, qui plaît à beaucoup en Europe, peut devenir la puissance constituante d’un renouveau démocratique dans toute l’Europe, menacée qu’elle est par un mélange toxique d’autoritarisme, d’exclusion et d’austérité imposée au bénéfice d’une minorité.

C’est cela la force de ce manifeste: en dépit d’un récit très critique à l’égard des institutions européennes (parfois justifié, parfois pas; par exemple, le Parlement européen n’est pas un ennemi et pourrait être un allié), l’imaginaire collectif construit par Varoufakis redéfinit l’idée européenne comme un horizon possible et positif. En ce temps de «tabassage de l’Europe» (par les mouvements eurosceptiques, mais aussi par des gouvernements nationaux qui portent cependant la responsabilité de bloquer l’UE), DiEM25 a le courage d’ouvrir la voie, non seulement à la démocratisation de l’Europe, mais aussi à l’européanisation de la démocratie. En d’autres termes, il suggère que la démocratie n’est pas seulement l’avenir de l’Europe, mais aussi que l’Europe est l’avenir de la démocratie.

Mais qui est derrière DiEM25? Car pour l’instant la diversité géographique et idéologique marque son visage. Alors que le mouvement n’a pas encore réussi à attirer le large spectre de personnes qu’il recherche (comme les sociaux-démocrates et libéraux), il a été un point de rassemblement de gens venant de la gauche et des Verts, de nombreux citoyens non affiliés proches des nouveaux mouvements sociaux (en faveur des biens communs, droits numériques, nouvelles formes de démocratie, transparence, droits des lanceurs d’alertes, etc.) et avec des profils très divers (activistes, académiques, monde de la culture, syndicalistes, économistes, politiciens, etc.). Ils sont tous venus à Berlin avec des espérances élevées, comme il s’agit d’un mouvement historique, et maintenant la vague suivante devra s’amplifier en multiples courants à travers l’Europe, les impliquant dans la lutte directe qui demande innovation, créativité et courage. Sauver l’Europe nous requiert tous à présent — chez nous et en Europe — et la voix de DiEM25 doit devenir plus puissante. Le principal défi auquel est confronté DiEM25 réside dans l’impérative nécessité de développer le caractère transformatif de son imaginaire et de le traduire en stratégies réalisables.

AIR FRAIS

DiEM25 s’appuie aussi sur l’imaginaire des personnes engagées dans le mouvement des Indignés en Espagne. Par le message de soutien adressé par Ada Colau de Barcelona en Comú, ou de la Maire du changement de Corogne, Xulio Ferreiro, il marque clairement l’ambition de DiEM25 de reproduire cette dynamique en Europe. Cependant, la structure du mouvement est l’élément le moins développé de la proposition: DiEM25  aspire-t-il à être un réseau fluide, un lobby, un laboratoire d’idées, une organisation sociale ou un parti politique? Et à côté de l’horizon 2025, DiEM25  s’organisera-t-il pour influencer d’une manière ou l’autre la Convention européenne de 2018 et les élections européennes de 2019?

Finalement, dans une perspective d’écologie politique, l’initiative doit retenir notre attention. Premièrement, parce que nous avons toujours défendu le renouveau démocratique de l’Europe comme condition nécessaire mais insuffisante à la solution de la crise systémique. Secondement, parce que les Verts européens sont convaincus que l’Europe constitue l’espace politique adéquat pour apporter des réponses aux défis transnationaux écologiques, économiques, sociaux et démocratiques; nous partageons l’objectif de nous battre pour l’Europe. Troisièmement, parce que DiEM25 franchit une étape, même timide, vers une Europe verte et une prospérité verte et partagée qui respecte la planète. Clairement, si une autre voix s’exprime qui parle notre langue, nous devons l’entendre (et en ce cas, DiEM25 propose clairement comme axes de base le New Deal vert et la Transition verte). Les divergences doivent être discutées, définies et, si nécessaire, négociées, mais cet échange doit avoir lieu. Les citoyens européens sont avides de solutions, mais nous oublions souvent que l’approfondissement de la démocratie ne se fera pas sans nous.

En ces temps troublés où l’idée même d’Union européenne chancèle sous les tempêtes des égoïsmes nationaux et de l’extrême droite, DiEM25 est un réel courant d’air frais. Certainement incomplet, non structuré et incertain, avec de nombreuses faces à polir, mais c’est un allié précieux pour la réforme de l’Europe. Et c’est un fait que dans l’urgence il n’y a pas d’alliés à gaspiller. Il est temps de construire des ponts pour une autre Europe nécessaire et possible.

Florent Marcellesi et Vedran Horvat

(1) http://diem25.org

© Green European Journal
Article publié en anglais le 29/02/2016 par le Green European Journal, qui nous a aimablement autorisé à le traduire et reproduire.
Traduction: Robert Polet