Hallelujah!

Le 9 novembre 2016, «un bouffon, entouré de proto-fascistes» [1] est devenu le 45ème président de la première puissance mondiale. Un seul cri a retenti dans les chaumières: «Populistes de tous les pays, ralliez-vous à ma moumoute jaunâtre!»

Que ce soient l’environnement, l’économie, le social, la politique étrangère, la démocratie elle-même, il n’y a rien à augurer de bon de cette présidence. La fonction ne changera pas l’homme [2].

La fringale du pouvoir, la manipulation des passions humaines, le mensonge, la tromperie, le racisme, l’égoïsme, la concurrence sauvage de tous contre tous, l’imbécilité, l’inculture, l’insulte, le mépris, la vanité ostentatoire, l’adoration de l’argent, le sexisme débridé lui ont tracé une voie royale. Ils sont désormais érigés en vertus. Pire, ils deviennent les outils indispensables pour s’emparer du pouvoir et l’exercer. Pire encore, la réalité, les faits n’existent plus: le seul monde réel est celui inventé et tweeté par Trump.

Poutine a montré le chemin, Erdogan l’a suivi, Trump s’y est engouffré. Sa victoire est d’autant plus sinistre qu’elle fut obtenue par magouillage, car il semble désormais évident que la Russie a réussi à influencer les élections américaines pour favoriser l’élection de Trump. Un nouveau Yalta entre le Russe et l’Américain est plus que probable. L’UE et bien d’autres en paieront le prix [3].

Le succès de Trump n’a, hélas, rien d’étonnant. Il est dans le droit fil du discours qui, depuis près de 40 ans, prêche la liberté absolue de l’argent, le libre exercice du commerce et l’affaiblissement de l’État par la diminution des impôts des riches et le démantèlement des services qu’il rend. Les résultats sont là: la toute puissance de l’argent-dieu, une concurrence tous azimuts, la sacralisation de l’individualisme et de la satisfaction immédiate des désirs, la destruction de la solidarité tant au sein des peuples qu’entre eux, la disparition des contraintes et des règles de la vie économique [4] et sociale. Sous son égide, les riches sont devenus plus riches. Ils ont déclaré la guerre aux pauvres qui sont en train de la perdre. Il a fait du marché un Moloch insatiable, auquel tout doit être sacrifié [5].

Nous en fûmes, hélas, les complices conscients ou non. Séduits par ses attraits, les partis politiques, leurs électeurs et les grandes voix de la conscience des peuples, sentinelles aux barricades de la démocratie, se sont pris à divaguer dans un brouillard accommodant, estompant la sincérité de leurs programmes et de leurs actes et l’éthique dont ils se prévalaient d’être les gardiens.

A-t-on mesuré les ravages d’une mondialisation sauvage et son cortège d’insécurités et de déracinements au nom de «l’efficacité économique»? A-t-on senti l’angoisse et le désarroi des âmes simples devant une multiculturalité déboulant au pas de charge et les bouleversements sociétaux arrachant de profondes racines? A-t-on éduqué à la compréhension et à l’usage des nouvelles technologies? A-t-on pris conscience de l’impact des médias transformant l’information en divertissement? A-t-on osé dressé les devoirs devant l’absolutisme des droits? A-t-on réalisé la puissance totalitaire de la finance? A-t-on appréhendé que les «paradis fiscaux» et leur appareil d’évasions fiscales s’établissaient au coeur de l’économie et que la criminalité organisée suivait? S’est-on rendu compte du scandale des inégalités et de l’injustice triomphante et des rages impuissantes de devoir s’y soumettre?

Les hommes forts, les populistes et Trump ont compris ces désarrois. Ils rassurent, même si leurs assurances restent un mélange de semi-vérités, de mensonges et d’abjections.

Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. Il l’est d’autant plus que l’hypocrisie des accommodements des autorités règne en maître et qu’il n’y aura bientôt plus de lois et de tribunaux que ceux qui conviennent aux riches et aux pouvoirs en place et à la défense de leurs intérêts [6].

Elle fut vaincue, une première fois. L’Europe — et c’est sa gloire — a transcendé la haine effroyable qu’elle a laissée en réalisant ce rêve immense d’un destin commun entre ses peuples dans les respect des diversités. Il ne convient pas de le rabaisser à l’aune de nos lâchetés ou à celle d’une boutique de libre-échange. Notre défi est maintenant, et surtout depuis ce 9 novembre, l’avenir de notre héritage, d’offrir un hymne à la joie.

Dans son discours d’acceptation du prix Nobel de littérature en décembre 1957, Albert Camus a eu des paroles prophétiques pour ce début de siècle:
«Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire, mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance.»

A l’instar de celle sortie de la nuit et du brouillard, oserons-nous, serons-nous une nouvelle génération pour notre temps?


[1] Jim Jarmusch (in Le Soir, 07/12/16)
[2] Pour s’en rendre compte, il suffit de voir les choix pour son gouvernement (Le Soir, 14/12/16).
[3] Les fans de Poutine en UE en salivent déjà. Pour les autres, un conseil: commencez à apprendre le russe.
[4] Songeons à la liberté absolue laissée aux banques.
[5] Voir à ce sujet «La main invisible», essai, Alain Tihon, 2016
[6] L’équipe que Trump met en place, et Trump lui-même, sont un nid grouillant de conflits d’intérêts.


By Alain Tihon

Alain Tihon a fait des études classiques, complétées par un diplôme en économie appliquée (ICHEC Bruxelles). Il possède une longue expérience professionnelle dans de nombreux secteurs, en particulier celui des banques, et une expertise de consultant pour les entreprises et organisations non marchandes (voir le site). Depuis longtemps, il s’est intéressé aux problèmes posés par une croissance débridée et à la nécessité de remettre l’économie et la finance au service de la société.