La métamorphose de l’euro

Angelo Basile est secrétaire général adjoint de la MWB (Métallurgistes Wallonie-Bruxelles), les Métallos FGTB. A ce titre, cet économiste mène un combat politique et syndical pour la justice sociale. L’Europe l’intéresse également et il est l’auteur de La Métamorphose de l’euro, publié en 2016 aux Éditions du Cerisier. Présentation de l’ouvrage.

Sommes-nous arrivés à la fin d’un monde? est à la fois le sous-titre de son livre et le titre de sa longue introduction de plus de 20 pages.

Celle-ci est entièrement basée sur l’illustration de la couverture du bouquin Le Jugement dernier, célèbre fresque de Michel-Ange sur le mur de l’autel de la chapelle Sixtine au Vatican. Cette introduction est à la fois une oeuvre littéraire en soi, une description impressionnante de l’œuvre picturale, et une remarquable allégorie de la division de l’humanité entre les bons et les mauvais dans cette représentation chrétienne. Elle souligne une semblable opposition entre les «bons économistes», prêcheurs du dogme néolibéral et du TINA qui serait l’unique voie du Salut, et les «mauvais» économistes critiques qui, de Keynes à Stiglitz, développent des alternatives économiques productrices de justice sociale et d’équilibres pour l’espèce humaine et son milieu naturel.

Le livre est ensuite découpé en trois parties et douze chapitres, toutes et tous formulés sous la forme de questions.

La première partie «Pourquoi avons-nous créé l’euro?» rappelle l’histoire du projet d’union monétaire et de sa mise en place par étapes. C’est un rappel très utile qui éclaire la situation contemporaine de l’euro, une monnaie fruit de marchandage politique (l’euro contre la réunification de l’Allemagne en 1992) que l’Allemagne n’accepte qu’à trois conditions: «le respect d’un ensemble de critères de convergence particulièrement restrictifs pour tous les candidats à la nouvelle devise; l’installation de la future Banque centrale européenne sur son territoire national, et la conformité des statuts de cette même Banque centrale avec ceux de la Bundesbank». Pour l’auteur, l’euro n’est «rien d’autre au final qu’un mark allemand cloné et rebaptisé pour les besoins de la cause».

La deuxième partie s’intitule «Comment le rêve s’est-il transformé en cauchemar?». Elle aborde successivement les questions relatives au rôle dominant de la politique budgétaire (sous contrôle), de la convergence attendue des économies européennes qui s’est transformée en un processus de divergence, de l’austérité qui ne sauve ni les économies des États ni l’Union monétaire européenne, de la compatibilité (ou non) de l’euro avec le plein emploi, de la pression exercée par l’euro sur les salaires, et de l’impact de la politique monétaire sur les instances de négociation sociale. Angelo Basile conclut le chapitre par cette remarque: «Soumis eux-mêmes à la tutelle de l’Union, les gouvernements nationaux n’hésitent plus, par les contraintes qu’ils adoptent, à reporter le poids du contrôle des institutions européennes sur les acteurs du dialogue social qui se voient du coup amputés aussi bien dans leurs marges de manœuvre que dans l’étendue de leur liberté de négociation».

La troisième partie «Sommes-nous condamnés au déclin?» permet à l’auteur de s’interroger sur la possibilité d’une vie après l’euro. Il y exprime deux sources d’inquiétude: le rapport de force idéologique et le rapport de force politique. Sur le plan idéologique, il constate qu’au-delà des partis libéraux «qui n’ont jamais été pris en défaut de cohérence avec eux-mêmes», les partis du centre et de la gauche ayant participé dans les gouvernements ont tous été contaminés par cette idéologie libérale de marché et ne semblent plus croire aux possibilités d’une autre politique.

Sur le plan politique, le réveil modeste des forces progressistes ne peut conduire à des perspectives alternatives sociales et de service public «si elles s’avèrent incapables de réunir ou de fédérer autour de leur ligne directrice une majorité des États et des acteurs concernés».

A partir des perspectives esquissées par de nombreux économistes critiques sur l’avenir de la zone euro, Angelo Basile dégage six scénarios possibles:

  1. Le maintien du statu quo actuel, scénario qui ne pourrait envisager que quelques nouveaux emplâtres sur une jambe de bois;
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  2. Le statu quo actuel accommodant, qui permettrait quelques libertés par rapport au strict respect des règles budgétaires, donnant ainsi un peu d’air aux pays en perte de compétitivité;
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  3. L’assouplissement de la gestion de la zone euro et une relecture des traités. Ce scénario devrait conduire à des réformes impliquant une coordination des politiques économiques et sociales des États, la soumission de la politique monétaire de la BCE aux choix de politiques générales définis par les États de l’Eurozone, une sérieuse augmentation du budget de l’UE et un élargissement des marges budgétaires nationales pour faire face aux nouveaux chocs économiques inévitables. Le risque de divergences subsistantes entre les économies nationales ne disparaîtrait pas automatiquement avec ce scénario, mais il serait cependant atténué.
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  4. Abandon de l’euro par un État ou un groupe d’États. Le retour aux monnaies nationales de ces États favoriserait par leur dévaluation leurs exportations et une certaine relance économique mais ne résoudrait pas le problème de la gestion de leur dette. Et cela signifie, selon Basile: «Sortir de l’euro pour pouvoir pratiquer des dévaluations compétitives, c’est rester dans la logique de l’Europe du grand marché et de la libre concurrence effrénée des entreprises d’un État contre celles de tous les autres».
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  5. Dissolution concertée de l’union monétaire et maîtrise des effets en cascade. Il s’agirait d’un «divorce à l’amiable» négocié et constatant l’échec de la monnaie unique. Mais il faut bien constater l’inexistence d’une entente suffisante entre les États membres pour envisager une telle sortie coopérative de l’euro.
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  6. Création d’une Union fédérale. C’est le scénario le plus ambitieux, mais qui n’est pas, à ce jour, le plus probable. Il impliquerait que le mandat de la BCE soit élargi au soutien de la croissance et de l’emploi, que la monétisation des dettes ne soit plus empêchée mais contrôlée, que l’UE elle-même soit autorisée à s’endetter, que les politiques monétaire et budgétaire soient coordonnées, que les politiques fiscales et sociales soient harmonisées, que le budget de l’UE soit substantiellement relevé, que des transferts financiers entre États soient autorisés, que le dialogue social recouvre la libre négociation des salaires et la capacité de conclure des conventions collectives de travail tant au sein des États qu’au niveau de l’UE et, enfin, que les institutions européennes se démocratisent et deviennent plus transparentes. Scénario ambitieux mais peu probable vu l’absence de volonté politique d’augmenter les moyens budgétaires de l’UE, et l’absence de réelle solidarité entre États membres et surtout de mécanismes automatiques de solidarité économique.

Au bout du compte, Angelo Basile ne croit à une vie avec l’euro qu’à la condition d’une remise en cause radicale des lois prétendument naturelles du néolibéralisme et de la rationalité des marchés, et de son remplacement par une vraie économie sociale de marché, c’est-à-dire «une économie de marché tempérée par des normes sociales à travers une alliance de la liberté et de la solidarité».

Souhaitons que cet ouvrage soit non seulement lu, mais étudié et discuté au sein de toutes les organisations politiques, syndicales, sociales et citoyennes.

 

La Métamorphose de l’euro
Angelo Basile
Éditions du Cerisier, Collection Place publique, 2016, 218 pages, 15 €
ISBN: 978-2-87267-203-5

 

 

 


[1] There is no alternative. Relire à ce sujet Il faut tuer TINA, recension par Michel Brouyaux du livre d’Olivier Bonfond.

[2] Relire à ce sujet L’Euro(pe): images mélangées sur base de la conférence du professeur Giuseppe Pagano.
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