La sous-évaluation du sous-emploi en Europe

Une note récente de la Banque centrale européenne revisite la situation chiffrée du chômage dans l’Union européenne. Le taux de chômage officiel de la zone euro est en moyenne de 9,5%. Mais si l’on prend en considération toutes les formes de chômage cachées et de sous-emploi, le taux de chômage effectif serait plus proche de 15%.

C’est un article d’Anne Fretel et Frédéric Lerais, économistes de l’IRES, dans Le Monde du 15 juillet 2017, qui a attiré notre attention sur une note de la BCE (ECB, Economic Bulletin, Issue 3/2017). L’intérêt et la pertinence de cette note nous a conduit à en traduire l’essentiel. Les éléments d’analyse qu’elle présente viennent en effet compléter Temps de travail en Europe: les vrais chiffres, article récemment publié sur le site.



«Malgré de sérieuses améliorations dans les marchés du travail depuis le début du redressement et une baisse marquée des taux de chômage dans la plupart des économies de la zone euro, la croissance des salaires reste très modérée. Ceci confirme qu’il demeure un degré considérable de sous-emploi dans la zone. (./.)»

Le taux de chômage est basé sur une définition étroite de la sous-utilisation des forces de travail.

Selon la définition de l’OIT (Organisation internationale du Travail, agence spécialisée de l’ONU) — sur laquelle le taux de chômage dans la zone euro est basé — les personnes à la recherche d’emploi sont considérées comme chômeurs s’ils sont: (i) sans travail; (ii) disponibles pour commencer un travail dans les 15 jours; (iii) en recherche active d’emploi. Il est cependant pertinent de recourir à des définitions plus larges pour évaluer le degré de sous-emploi. Deux groupes méritent particulièrement d’être pris en considération: d’abord ceux qui sont sans emploi mais ne rencontrent pas l’un des deux autres critères; et, ensuite, ceux qui sont employés à temps partiel mais souhaitent travailler plus d’heures. Le premier groupe tombe dans la catégorie des inactifs, et le second dans la catégorie des actifs employés.

Actuellement environ 3,5% de la populations en âge de travailler, dans la zone euro, ne sont attachés que marginalement au marché du travail: ils sont catégorisés comme inactifs mais, en fait, ils sont seulement en recherche moins active de travail.

Considérée comme «force de travail additionnelle potentielle», cette catégorie comprend à la fois (i) ceux qui ne cherchent pas activement du travail bien qu’ils soient disponibles (essentiellement des travailleurs «découragés», et (ii) ceux qui cherchent activement du travail, mais ne sont pas (encore) disponibles pour commencer de suite (peut-être parce qu’ils ont reçu une offre d’emploi avec une date future de début, ou parce qu’ils sont incapables de commencer ce travail au cours des 2 prochaines semaines). Ce dernier sous-groupe représente actuellement près d’1% de la population en âge de travailler de la zone euro, alors que le précédent sous-groupe est plus important — environ 2,6% de la population en âge de travailler — la majorité étant faite de travailleurs découragés qui ne cherchent pas activement parce qu’ils ne pensent pas qu’il y a du travail disponible pour eux. Ce sous-groupe, peut cependant rejoindre rapidement la force de travail si les conditions du marché du travail s’améliorent. (./.)

De plus, 3% supplémentaires de la population en âge de travailler sont actuellement sous-employés (travaillant moins d’heures qu’ils ne voudraient)

L’emploi à temps partiel s’est accru dans la plupart des économies de la zone euro dans la dernière décennie, et ce principalement pour des raisons structurelles, telles que la croissance des services, et la participation croissante des femmes au marché de l’emploi. Cependant, une partie non négligeable de ces travailleurs à temps partiel souhaiteraient travailler plus d’heures. Il y a actuellement environ 7 millions de travailleurs à temps partiel sous-employés dans la zone euro — un accroissement d’environ 1 million depuis le début de la crise. De plus, le nombre s’est à peine réduit au cours des deux dernières années, malgré la croissance sensible de l’emploi durant cette période de redressement.

En combinant les estimations des sans-emploi et des sous-employés avec les mesures traditionnelles du chômage, le sous-emploi sur le marché du travail affecte environ 18% de la force de travail dans la zone euro.

Ce montant de sous-utilisation double presque le niveau révélé par le taux de chômage, qui est actuellement de 9,5%. (Voir le graphique ci-dessous)

La zone bleue représente le taux de chômage (définition OIT); la zone jaune les personnes disponibles ne cherchant pas d’emploi; la zone rouge les chercheurs d’emploi non disponibles immédiatement et la zone verte les travailleurs sous-employés.

On peut constater que ce graphique révèle un sous-emploi très important dans la zone euro — actuellement encore le double du chômage enregistré —, mais aussi que la réduction du chômage au cours des deux dernières années, n’a pratiquement pas réduit le sous-emploi représenté par la somme des zones jaune, rouge et verte.

Traduction: Robert Polet


Ceci nous confirme dans notre analyse favorable à la réduction collective du temps de travail, que l’on peut notamment retrouver dans le n°2 du journal POUR. Cette voie permettrait en effet de ramener dans l’emploi des personnes actuellement égarées dans le «sous-emploi» tel qu’identifié dans la note de la BCE reprise ci-dessus.