Si le bio ne suffit pas, qui sauvera nos fermes? - Maïté Vandoorne - POUR - www.pour.press

Si le bio ne suffit pas, qui sauvera nos fermes?

Les derniers chiffres de BioWallonie l’indiquent, la consommation bio des ménages ne fait qu’augmenter. Et pourtant… les ventes de nos maraîchers bio diminuent. Pourquoi un tel paradoxe entre chiffres et réalité?

Le dernier rapport de BioWallonie indique que les dépenses en bio n’ont cessé d’augmenter de 2008 à 2016. En effet, si l’on regarde seulement les dépenses en produits frais, bio, on observe une augmentation de 13% en Belgique en ce qui concerne l’année 2016 ! De plus, les premières prévisions pour 2017 dépassent toutes les attentes : rien que pour le marché des produits alimentaires en Région Wallonne, la part de marché du bio passerait de 4% en 2016 à 6% en 2017 !  Le bio explose en Wallonie, rien n’est plus clair !

Cependant, cette augmentation ne profite pas aux petits maraîchers bio. Ainsi, il y a trois semaines, Pia Monville, maraîchère à Court-Saint-Etienne, s’exprimait dans un article de la RTBF: « Dans la région, on assiste en effet à une explosion du nombre de commerces zéro déchets, bio, des petits, des gros. Cela répond manifestement à une demande parce que ces commerces ne font pas faillite. Mais notre réalité économique, c’est que nous ne profitons pas de cette croissance-là”. Vincent Cantaert, maraîcher à Walhain-Saint-Paul,  observe également une forte baisse de ses ventes. L’augmentation des acteurs du bio amène une situation de concurrence de plus en plus dure pour les petites et moyennes exploitations.  « Les clients sont plus volatiles qu’avant. Les années faciles sont derrière nous. Nous devons évoluer sinon nous risquons de disparaître à moyen terme au profit des gros acteurs. » exprime Vincent dans le magazine « Itinéraires Bio ». A Gembloux, le constat est le même ; les maraîchers de la coopérative Agricovert ont observé une diminution importante de leurs ventes; s’en est suivi pour chacun une anxiété sur l’avenir et une remise en question de la manière dont fonctionne leur exploitation.

Le souci est que le marché du bio est récupéré par le système classique de la distribution qui pousse les prix à la baisse et/ou récupère les marges des producteurs. Revenir au système de distribution classique, avec les même outils de gestion, de marketing, etc., mais sous une bannière bio, est-ce vraiment mieux ? Le consommateur veut du bio mais reste exigeant sur son approvisionnement. Il veut de beaux légumes disponibles dans un endroit où il peut également acheter des produits secs, de la viande, des produits laitiers, des œufs, des produits d’entretien, … Un endroit accessible facilement et dont les heures d’ouverture correspondent à ses habitudes. Cependant, la réalité des petits producteurs ne leur permet pas de répondre à toutes ces exigences. Il est donc plus facile pour le consommateur de venir acheter fièrement ses produits dans de grandes enseignes bio plutôt que de faire plusieurs chapelles chez les producteurs du coin. Est-ce vraiment pareil ? Si le magasin bio situé le long de la nationale m’attire en affichant des mots tel que « local », « éthique », « responsable », « écologique », « durable », mon achat sera-t-il aussi responsable et “eco-friendly” que si j’avais fait 5 km de plus pour aller à la ferme bio dans le village d’à coté ? Dans la plupart des magasins bio, à côté des salades du maraîcher de la région, se trouvent également des poivrons d’Espagne, du beurre de France, des kiwis d’Australie, des bonbons au gingembre de Chine et des produits secs dont la provenance n’est jamais certaine… Le choix des achats du consommateur aurait certainement été différent si celui-ci avait été directement chez le producteur. Est-ce que ce « bio business » ne nous perd pas dans tous ces slogans éthiques, responsables durables ? En allant faire ses courses au supermarché bio, on a le sentiment d’être un « héros », et pourtant en analysant bien le panier, chacun se sentirait bien moins fier de ses choix.

L’année 2017 fut une très mauvaise année pour les maraîchers bio (petites et moyennes surfaces) qui ont presque tous observé une diminution de leurs ventes. Ces difficultés amènent les producteurs à remettre en question leur modèle. Faut-il continuer à se battre pour un modèle juste, équitable, respectueux de l’environnement et durable ? Et à quel prix ? Faut-il s’abaisser aux règles de la grande distribution et choisir un modèle de production agricole moins respectueux de la terre pour baisser les coûts de production et survivre ? Ou faut-il accepter de disparaître au profit de grandes exploitations ?

Il revient à chaque consommateur de réfléchir aux valeurs qu’il veut mettre dans son panier et être critique face aux slogans lancés par les grandes chaînes de distribution. Il existe partout en Wallonie des coopératives et des petits magasins indépendants qui se posent les bonnes questions et choisissent leurs produits en fonction de valeurs justes pour le producteur et le consommateur. L’information critique est présente partout pour le consommateur qui veut devenir acteur de ses achats. Le tout est de faire la différence entre « la bio »,  l’agriculture bio, pleine de sens et de valeurs et « le bio », commercialisation et industrialisation de produits certifiés.

Enfin, la responsabilité repose également sur les épaules du politique. Tant que celui-ci favorisera l’installation de grandes chaines bio au détriment des petits producteurs, le malaise décrit dans cet article perdurera. Un exemple bien concret était celui de Corbais où un BioPlanet (filière Colruyt) voulait s’installer sur la nationale 4. Les citoyens s’étaient mobilisés contre ce projet pour différentes raisons, la commune a ensuite refusé le projet, de même que la Région wallonne. Quelques semaines plus tard, le ministre autorisait le permis intégré (contre l’avis des citoyens donc…). Alors, si le politique ne se responsabilise pas sur la situation de nos petits producteurs, qui sauvera nos fermes ?

Maïté Vandoorne