«Sortir de l’impasse», l’appel de 138 économistes

«Il est possible de réenchanter l’avenir, y compris en matière économique
Tel est le postulat de 138 économistes signataires d’un Appel publié dans Le Monde du 10 février 2016. Face à la désespérance sociale et à l’enlisement dans la crise, des alternatives existent. Reste à en convaincre les politiques et à décider ceux-ci de s’en saisir.

Dans un ouvrage collectif intitulé «Sortir de l’impasse» et paru fin d’année dernière, 30 signataires de l’appel développent ces alternatives en six chapitres:
• Mener la transition énergétique
• Domestiquer la finance pour un nouveau pacte productif
• Changer l’euro et l’Europe
• Réhabiliter l’impôt et la dépense publique
• D’autres réformes pour l’emploi
• Contre les inégalités et le mépris social, réaffirmer les solidarités

Pour ces économistes, «les choix de production et de répartition qui conditionnent l’avenir ne peuvent être laissés aux seuls dirigeants d’entreprise, subordonné à la maximisation des dividendes des actionnaires». Il est urgent d’associer à la prise de décision économique stratégique les salariés (comme cela se pratique déjà au moins partiellement en Allemagne et en Suède), mais aussi les collectivités territoriales, les clients-consommateurs et les usagers des services.

La résolution des grands défis écologiques de ce 21ème siècle requerra des processus de production plus sobres, plus respectueux de l’environnement et moins gourmands en énergie. La prise en compte de ces exigences sociétales ne sera pas effective si les choix sont posés par les seuls acteurs économiques et financiers. C’est pour cela qu’un nouveau pacte productif est nécessaire par l’association de tous les acteurs concernés.

Il faut aussi, pour sortir les économies européennes du marasme, refonder les institutions européennes, affirment les mêmes auteurs. «Le grand marché unique et l’euro ont accentué les divergences entre les économies, encouragé les stratégies de compétitivité salariale, de dumping fiscal et social, et exacerbé les rivalités entre les peuples. Au nom du libre-échange et de l’ouverture des marchés de capitaux, l’Europe a organisé son affaiblissement industriel, privilégiant les intérêts de la finance au détriment de ses entrepreneurs. Comment guérir l’Europe de son chômage, de ses déséquilibres internes, et transformer ses aouts indéniables en force collective? De nouvelles réponses politiques et économiques doivent être inventées

L’une des contributions traite précisément de cette question européenne. Elle est intitulée «Ouvrir une crise pour remettre l’Europe sur ses rails» et signée de deux économistes de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak.

La mise en place de la monnaie unique a privé les États de leur politique monétaire nationale. Celle-ci poursuivait un double objectif: la stabilisation des prix et la stimulation de l’activité économique. Aujourd’hui, la politique monétaire relève exclusivement, pour les 19 pays membres de l’Eurozone, de la Banque centrale européenne (BCE), et la seule mission de la stabilisation des prix lui a été attribuée. Ces pays sont donc privés de l’arme monétaire pour piloter leur politique économique.

C’est la raison pour laquelle, selon les auteurs, des changements institutionnels sont requis afin de gérer efficacement la politique économique de l’Eurozone. Ils préconisent dès lors:

  • Que la BCE garantisse les dettes publiques des pays membres et maintiennent durablement les taux d’intérêt en-dessous du taux de croissance afin de réduire le poids de l’endettement public;
  • Qu’elle oblige aussi les banques à se détourner des activités spéculatives pour financer les activités productives et la transition écologique;
  • Qu’une stratégie de relance économique s’appuie sur la distribution des salaires et revenus sociaux, et sur la relance des investissements publics;
  • Qu’une politique industrielle commune organise et finance la transition vers une économie durable;
  • Que l’on mette fin à la concurrence fiscale, aux paradis fiscaux, à l’évasion et à l’optimisation fiscales.

En somme, les progrès institutionnels indispensables et espérés doivent être imposés par les peuples autour de la défense du modèle social européen — inscrit, faut-il le rappeler, dans le texte même du Traité sur l’Union européenne, en son article 3 — et de son adaptation aux nécessités de la transition écologique.

L’ouvrage fourmille de propositions constructives dans chacun des chapitres cités en début d’article, notamment sur la transition écologique et énergétique, sur la reprise en main par le pouvoir politique du monde de la finance (entre autres avec la séparation des banques de crédit et des banques d’affaires), sur la réhabilitation de l’impôt et de la dépense publique, mais aussi sur la réduction du temps de travail, sur l’économie sociale, sur le revenu universel…

Bref, une lecture stimulante et une nourriture substantielle pour les forces politiques à la recherche d’un nouveau souffle et d’une nouvelle crédibilité.

 

Sortir de l’impasse
Appel des 138 économistes, Editions Les liens qui libèrent,
novembre 2016, 224 pages
ISBN: 9791020904072
Aussi disponible en version numérique