Tirer le portrait de la diversité

Serge Brison est photographe d’architecture. Et il est l’auteur des photos qui illustrent l’entièreté du journal POUR n°2. Interview.

POUR: Vous êtes photographe d’architecture. Qu’est-ce qui vous a motivé à réaliser les portraits d’habitants d’un quartier?

S.B.: J’ai étudié à l’école d’architecture et d’art de La Cambre à Bruxelles. La photographie, c’est plusieurs métiers: les reportages, la pub, l’architecture… L’architecture est faite pour l’humain, mais dans les photos d’architecture, l’humain y est anecdotique, il est là pour donner une échelle de grandeur aux bâtiments. Les photos de bâtiments ont un aspect sec, alors que dans les portraits, il y a une sensibilité humaine. Les portraits rendent l’architecture plus chaleureuse. Pour moi, c’est donc un élément essentiel.

À la demande de la commune bruxelloise de Saint-Josse, vous avez privilégié une installation interactive avec les habitants, alors que la demande initiale était de photographier les bâtiments et les parcs. Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de ce choix?

Mon idée a été de proposer à la commune de Saint-Josse de «mettre les habitants à l’honneur» plutôt que les bâtiments et les parcs. Pourquoi cette démarche? Parce que Saint-Josse était labellisée commune pauvre, à grande mixité sociale, à problèmes. Cent-vingt nationalités se côtoient et il y fait bon vivre. C’est une richesse. Ne pas cacher la réalité, c’était cela ma démarche.

Chantal Collet, du service communication de la commune, a poussé l’idée d’installer un studio de prises de vue au cœur de Saint-Josse, et le bourgmestre Jean Demannez nous a fait confiance.

Pendant deux jours, dont un jour de marché, on a reçu tout le monde. Rendez-vous était pris avec une cinquantaine de personnes, habitant principalement dans la commune, élus comme travailleurs. La commune avait lancé des invitations via la presse de «se faire tirer le portrait» lors de ces deux journées. Je n’avais aucune idée du nombre de personnes qui viendraient et joueraient le jeu. Le service communication a bien fait son boulot, j’ai effectué 1200 prises de vue en deux jours. C’était une démarche de portrait posé, soigné, réfléchi, comme chez les photographes d’antan, pas des instantanés.

Entre une démarche artistique et une expérience sociale, jusqu’où les habitants de Saint-Josse ont-ils pu apporter leurs idées, interagir ou participer?

Des gens qui se rencontrent, qui interagissent entre eux, cela crée du lien social. Aussi courte que fut l’expérience, j’ai eu un échange avec toutes les personnes des 1200 portraits. Humainement, ce fut une super expérience. Il y avait une mise en valeur des personnes. Techniquement, c’était bien construit et la toile de fond les mettait en valeur également.

Beaucoup s’étaient préparés. Ils sont venus habillés spécialement pour la photo. Ils sont venus en couple, en famille, avec leurs instruments de musique ou des objets qui les personnalisent, comme une plante, un légume cultivé dans un potager collectif.

Ils se sont sentis mis en valeur, tous. Personne n’était plus important qu’un autre: un fonctionnaire de la Communauté européenne était suivi par un sans abri avec son chien, puis un ancien résistant avec le drapeau belge… Le résultat? Un beau chaos, un patchwork humain.

© Serge Brison

L’expérience a été tellement positive que nous l’avons réitérée deux ans plus tard, cette fois devant la maison communale (la mairie). Il y a eu autant de monde que la première fois. Nous avons mis à disposition des ballots de paille afin qu’ils puissent les utiliser pour poser. Plusieurs personnes qui s’étaient fait tirer le portrait deux ans plus tôt sont revenues. Par exemple, toute une famille venue d’Haïti était présente en 2010, c’est la photo que vous trouverez en page 7 de POUR. Deux ans plus tard, le fils et sa fille sont revenus, comme vous pouvez le voir en page 24 du journal.

Une semaine après l’installation du studio, le service communal a tendu des cordes à linge au même endroit et y a accroché les photos. Et les gens sont venus chercher leur portrait!

Est-ce la première fois que vous réalisiez un tel projet?

De ce type-là, oui. J’avais déjà réalisé des séries de portraits sur des minorités, des artistes, des peintres…

Pourquoi avez-vous accepté la collaboration avec le journal POUR et la coopérative «pour écrire la liberté»?

Quand j’ai été contacté par la directrice artistique et le rédacteur en chef, qui avaient aimé mon travail sur internet, j’ai trouvé intéressant leur proposition d’utiliser mon travail comme axe transversal d’un journal ayant pour thème le travail. Cela remettait tout le monde, les citoyens dans leur diversité, dans une thématique qui nous touche: jeunes, plus âgés, ouvriers, commerçants, dans un grand mélange des cultures.

Pour moi, il y a un parallèle entre Pour – Liberté – Travail. C’est cela qui m’a donné l’envie de collaborer. Je connaissais l’orientation du journal POUR et les thèmes sociaux abordés. Pouvoir, transversalement, apporter les portraits d’êtres humains apportait une autre lecture: «Dans quelle société, demain, voulons-nous vivre»?


Le site de Serge Brison
Quelques portraits de la série «St-Josse»