Trois questions à Olivier Bonfond (vidéo)

Nous avons voulu comprendre l’analyse et les objectifs de l’équipe qui développe l’initiative « Belfius est à nous ».

Olivier Bonfond nous a semblé être l’interlocuteur clé à interviewer.

Olivier Bonfond est économiste, membre de la plateforme “Belfius est à nous”, chercheur au CEPAG et au CADTM, et auteur de “Et si on arrêtait de payer?” et de “Il faut tuer TINA“.

Retranscription de l’interview:

À qui appartient Belfius aujourd’hui, comment est-ce arrivé et pourquoi ?

On peut dire, d’une certaine manière, que Belfius appartient à toutes les citoyennes et tous les citoyens belges. En effet en 2011, après la débâcle financière de Dexia, les pouvoirs publics ont racheté la banque pour 4 milliards d’euros. S’ils ont racheté la banque, on pourrait penser qu’il serait normal que ça soit les pouvoir publics qui contrôlent et qui gèrent cette banque, via le Parlement par exemple. Or ce n’est pas du tout le cas. En fait, même si l’Etat est actionnaire à 100% de la banque Belfius, celle-ci est une société anonyme de droit privé. Le gouvernement a donc nommé le conseil d’administration, mais en lui donnant un mandat très clair, à savoir gérer la banque comme une entreprise privée, avec pour objectif principal, la maximisation de la rentabilité. On est un peu face à une structure bizarre, parce que, d’un côté, on pourrait penser que c’est une banque publique et qu’elle a donc une mission de service public, mais en fait elle fonctionne tout à fait comme une banque privée.

Le gouvernement propose de privatiser et de vendre partiellement Belfius afin de diminuer la dette publique. En quoi c’est une bonne ou une mauvaise proposition ?

Il faut être très clair : pour moi, mais aussi pour la plateforme « Belfius est à nous », qui est composée de presque une trentaine d’organisations, de mouvements sociaux, dont la FGTB wallonne, le Setca, le CEPAG, le CADTM, Attac, FAIRFIN, Financité et encore d’autres, on trouve que c’est une très mauvaise proposition. Et notamment parce que toutes les raisons qui sont invoquées officiellement par le gouvernement pour justifier cette éventuelle privatisation partielle ne tiennent pas du tout la route.

Le premier argument qu’il donne, c’est l’argument financier : « Ça va rapporter de l’argent ! ». Et donc, là, les estimations disent qu’une privatisation partielle pourrait rapporter entre 1,4 et 4 milliards d’euros. Et ce qu’il dit, c’est qu’ils vont pouvoir utiliser cet argent-là pour diminuer la dette publique belge. Et cela aboutirait à quoi ? Les calculs sont très simples : à une diminution d’un demi, ou maximum de 1% de la dette publique belge ; c’est-à-dire la faire diminuer de 106 à 105,5. Ça ne changerait donc pas du tout la situation.

Il y a un deuxième élément qui est important au niveau financier : il s’agit d’une vision à très court terme. Il faut vraiment garder à l’esprit que la banque Belfius, pour l’instant, est une banque rentable. En 2016, elle a fait 531 millions d’euros de bénéfices après impôts, et elle a redistribué à son actionnaire – son unique actionnaire, c’est-à-dire l’Etat belge – 230 millions d’euros. Et selon les prévisions pour 2017, la banque Belfius va donner à l’Etat belge environ 250 millions d’euros de dividendes. Si on privatise la banque, ce sont autant de dividendes qui ne seront pas reversés à l’Etat belge. Donc c’est vraiment une vision à court terme.

Le deuxième argument qu’il donne, c’est « Ce n’est pas grave, c’est une vente partielle, on ne vendra qu’un petit peu ». Mais là, il faut vraiment être très prudent, je pense. Parce qu’on nous a déjà fait le coup en Belgique et dans beaucoup d’autres pays en Europe et ailleurs dans le monde. Au départ on dit : « On vend un petit peu » et puis en fait, on se rend compte qu’on est dans un processus vers une privatisation totale. Je rappelle l’exemple très simple de la CGER. En 1993, l’Etat belge a vendu 50% des actions moins une voix au secteur privé – soi-disant pour sauver la sécurité sociale (là, ce n’était pas pour diminuer la dette) – en disant : « Ce n’est pas grave, on reste l’actionnaire majoritaire avec 50% plus une voix. En 1997, si mes souvenirs sont bons, ils ont revendu 25%, en disant : « Ce n’est pas grave, on garde 25%, on est quand même le plus gros actionnaire et donc on continue à avoir une part importante dans le contrôle de la banque ». Et deux ans plus tard, ils vendaient tout !

Je pense que les citoyens et citoyennes belges doivent se poser la question : « est-ce que l’on n’est pas en train de dire qu’on va privatiser un peu mais en fait, l’objectif est de tout privatiser ? ». L’autre chose qu’il faut dire, par rapport à ça, c’est l’argument « Comme on va privatiser un tout petit peu, ça ne changera pas l’orientation de la banque ». Et ça, c’est tout à fait faux. À qui on va vendre ces actions-là ? On va vendre ça à des Hedge Funds, à des fonds hautement spéculatifs. Et la négociation qui est en cours, à l’heure actuelle avec le gouvernement, c’est celle-ci : les fonds spéculatifs disent « Nous, on veut bien éventuellement discuter avec vous d’une entrée dans le capital de Belfius, mais on veut avoir des garanties en terme de rentabilité, de retours sur investissements et notamment de dividendes. Et donc, même s’il s’agit de 10, 15 ou 25%, ils vont pousser à fond pour que l’orientation de la banque soit de plus en plus dirigée vers la rentabilité et la maximisation du profit à court terme et la distribution des dividendes pour servir l’intérêt des actionnaires. C’est donc réellement une fable que d’affirmer qu’une vente partielle n’aurait pas d’impact sur l’orientation de la banque.

Et le troisième et dernier élément, c’est la cerise sur le gâteau ! C’est ce qu’ils nous disent depuis de longues années – on l’entend déjà depuis des décennies – c’est que « L’Etat n’aurait pas vocation à gérer une banque. ». C’est le privé qui doit s’en occuper, parce que cette idée néolibérale nous dirait que le secteur privé est toujours plus efficace et plus rentable. Mais là il faut de nouveau regarder la réalité. Je dirais plutôt que c’est l’inverse qui est vrai. Ces dernières décennies, les banques privées ont montré suffisamment le caractère néfaste et leur incapacité à gérer correctement les banques. La crise financière 2008-2009 n’a pas été organisée par les pouvoirs publics, elle est directement la conséquence des comportements criminels et spéculatifs des banques privées. On peut prendre l’exemple du CGER ou du Crédit Communal. Ces deux banques ont fonctionné pendant plus d’un siècle comme banque publique, sans jamais devoir demander un euro au contribuable pour continuer à fonctionner. Elles ont toutes les deux été privatisées fin des années 90’, pour donner naissance à Dexia et Fortis, et moins de 15 ans plus tard, elles explosent totalement, elles tombent en faillite et l’Etat doit intervenir très lourdement pour les sauver. On doit considérer que les banques sont un élément beaucoup trop important pour le bon fonctionnement d’une société que pour être laissées dans les mains du secteur privé qui a, et c’est sa nature, pour objectif principal de faire du profit et maximiser la rentabilité.

Quel est l’avantage d’une banque publique par rapport à une banque privée ?

Une banque publique peut avoir beaucoup d’avantages. Il faut commencer par dire qu’il y a beaucoup de pays dans le monde qui l’ont compris. L’Allemagne, la Suisse, le Luxembourg, qui ne sont pas vraiment des exemples de pays communistes ou socialistes, ont un secteur bancaire public et coopératif qui est beaucoup plus développé qu’en Belgique et qui a montré sa stabilité face à la crise. Donc ça, c’est un premier élément : la stabilité

Ensuite, il faut dire qu’une banque publique – tout en restant rentable : elle n’est pas obligée de faire des pertes – peut décider de mettre la rentabilité au second plan, que ce ne soit pas son objectif prioritaire, mais que son objectif prioritaire soit d’améliorer le bien-être collectif de la population et servir le développement économique, social et écologique d’un pays.

Donc, une banque publique, tout en garantissant la stabilité de l’épargne et en offrant aux contribuables les services habituels qu’une banque privée peut fournir, avec des carnets de dépôts, d’épargne, avec des cartes bancaires, etc., peut décider d’avoir une vision à long terme. Elle peut décider de ne pas adopter de comportement spéculatif. Et aussi, et surtout, d’orienter l’économie dans le sens qu’elle désire – et si on dit qu’on vit en démocratie, dans le sens que la population aurait décidé. Pour en revenir à Belfius, ce n’est pas seulement 250 millions de dividendes pour les pouvoirs publics, c’est aussi 90 milliards de crédits qui sont octroyés à l’économie belge. Ils sont plus ou moins coupés en trois parties : il y a un tiers qui se dirige vers les entreprises, un tiers vers les particuliers et un tiers vers les pouvoirs publics. Et donc, si on décidait que Belfius, non seulement en plus d’être possédée par l’Etat, devenait une banque publique, avec une réelle mission de service public, on pourrait décider d’orienter ses prêts pour faire évoluer l’économie et financer des investissements socialement utiles, écologiquement durables, la transition écologique, les transports publics… Cela pourrait aussi diminuer l’étranglement financier auquel les Communes doivent faire face pour l’instant. Elles ont de plus en plus de difficultés financières, mais elles sont le numéro un comme investisseur en Belgique ! Entre 40 et 50% de tous les investissements en Belgique sont réalisés par les communes. Or elles sont dans une situation où elles empruntent à Belfius ou à d’autres banques à du 3 ou du 4%, alors que la banque Belfius, et toutes les autres banques privées, peuvent aller se financer à du 0% à la Banque Centrale Européenne. Evidemment, on ne dit pas que Belfius pourrait aller emprunter à du 0% et prêter à du 0%, parce qu’il faut quand même qu’elle reste rentable, qu’elle finance les frais de fonctionnement, etc. Mais elle pourrait diminuer très fortement les taux auxquels les communes doivent emprunter (ce qui libérerait les investissements communaux) et décider d’orienter les investissements via, par exemple, des taux d’intérêt différenciés en fonction des investissements qui sont réalisés. Si un investissement est socialement utile, il pourrait bénéficier d’un taux d’intérêt réduit, et si c’est un investissement tout à fait privé, avec une logique de profit derrière, Belfius pourrait décider d’octroyer des taux d’intérêts plus importants.

Voilà pourquoi je pense qu’une banque publique, c’est très important. Il faut absolument que l’opinion publique refuse la privatisation partielle de Belfius. Et je pense qu’il faudrait aller plus loin, parce que pour moi, une banque publique, ce n’est pas suffisant. Ce n’est pas parce qu’un pays a une banque publique que, par ailleurs, il n’y a pas un secteur privé bancaire qui continue de spéculer à fond, mettant en danger toute l’économie et la société belge. Donc je pense qu’il y a des propositions qui viennent d’ailleurs qui parlent de pôle bancaire public, c’est-à-dire un ensemble de banques publiques qui se coordonnent pour pouvoir jouer un rôle plus fort. Et d’autres vont encore plus loin. Et je pense qu’il faudrait réellement qu’il y ait un débat démocratique en Belgique sur la socialisation de l’ensemble du secteur bancaire sur la base d’un principe très simple, qui dit que la monnaie, les crédits, les systèmes de paiement, et toute une série de choses qui sont liées au flux monétaire sont des éléments fondamentaux pour le bon fonctionnement d’une société. Donc ils doivent être gérés par les pouvoirs publics. C’est la socialisation et non pas la nationalisation. La socialisation, qui comprend le contrôle du secteur bancaire par la société dans son ensemble, avec par exemple, des conseils d’administration où il y aurait les usagers, le personnel des banques, les clients, les syndicats, etc. qui seraient présents et pourraient décider d’orienter le secteur bancaire dans une direction qui serait progressiste et sociale.